jeudi 29 octobre 2009

Curiosa et curiosités d'Asie...




Ce soir, j'avais plusieurs options possibles. La première, ne rien publier, option la plus sage à vrai dire puisque je dois m'absenter jusqu'à lundi. La deuxième option possible aurait été de vous livrer un bon vieux copier-coller d'un vieil article du Bibliomane moderne (sans vous le dire... c'est plus drôle...), mais l'actualité en matière de copier-coller a été suffisamment chargée pour aujourd'hui. Enfin, vous livrer un de ces billets ahurissants dont le Bibliomane moderne a désormais le secret. Jouer la carte du scandale, esbroufer à tout va, vous en donner pour votre argent. J'ai choisis cette troisième et dernière option.


Si vous avez l'âge légal, cliquez sur les images pour profiter pleinement du spectacle,
sinon, allez vous coucher !



J'ai acheté il y a quelque temps déjà de petits livres qui n'en sont pas. Il s'agit d'une grande feuille repliée en accordéon qui mesure dépliée entre 30 et 50 centimètres, le tout replié recouvert de plats cartonnés et toilés. J'en ai acheté un par curiosité, puis deux, puis trois, puis quatre...


Je dois bien avouer que je n'y connais rien du tout à l'art pictural asiatique et que ces petits "livrets" érotiques me sont totalement étrangers. Loin de la culture du livre érotique occidental traditionnel, je suis bien incapable de vous dire si ces petits livrets (ils mesurent entre 10 et 12 cm de hauteur) sont anciens ou tout à fait moderne. Pour être plus précis quant à la fabrication, sur les quatre exemplaires que je possède, aucun n'est vraiment identique aux autres, pourtant les scènes représentées sont parfois très proches et seul un détail diffère. Dans un premier temps, je dirais que ce sont des dessins à la plume ou au pinceau fin, mis en couleurs à la main. Mais y-a-t-il de l'imprimé là-dessous ? Aucune idée. Même en y regardant de près je n'ai aucune certitude. Le papier est différent à chaque fois et ne ressemble pas à nos papiers ni à du papier du Japon que l'on peut rencontrer en bibliophilie occidentale. Le papier est tramé (comme pour nos papiers vergés) mais ne ressemble pas à nos papiers de Hollande. Enfin, deux seulement sur les quatre présentent des signes d'écriture asiatique. Mais de quel pays ? Chine ? Japon ? Je l'ignore complètement. Bibliophilie ou pas ?


Voilà, sans doute ces petits livrets bien explicites (désolé pour les octogénaires sous pacemaker...), ne sont-ils rien de bien important ? Mais je m'interroge sur l'époque à laquelle ils ont pu être faits. De quelle origine sont-ils ? Ont-ils une histoire ? Une tradition ? Ils sont en tous les cas des petits ustensiles fort précieux pour les personnes atteintes de trou de mémoire compulsif en ce qui concerne les techniques de l'amour ... Ces petits livrets ont le grand chic de tenir très peu de place dans la table de nuit à côté de la bouteille de sirop contre la toux.


Je m'adresse tout particulièrement aux amis d'Asie qui nous suivent et qui pourront sans aucun doute nous en dire plus.

Bonne fin de semaine et à lundi,
Bertrand

PS : Avouez que rester là-dessus pendant quatre jours il y a pire comme supplice bibliophilique non ?

mercredi 28 octobre 2009

Des histoires à vous démonter un bibliophile ! Louise Labé, Molière, Corneille et les autres...




On connaissait les rumeurs sur l'affaire Corneille-Molière... Molière n'aurait été qu'un acteur, un excellent acteur certes, mais de toute évidence pour les uns incapable d'avoir écrit de tels chefs d'œuvre pour le théâtre comique français ! Corneille aurait écrit presque toute l'œuvre de Molière ! Pour les autres, tout ceci n'est qu'une farce, une facétie d'universitaires en mal notoriété. Molière est un génie ! Pour plus de détails sur cette passionnante chasse aux auteurs, visitez l'excellent site qui abrite le coeur de la polémique : Affaire Corneille-Molière.

Mais voilà que ce soir, à l'aube d'une nouvelle fiche descriptive pour mon catalogue, je me suis intéressé à la belle cordière, c'est à dire à la dame Louise ou Louis Labé. Femme de lettres lyonnaise de la première moitié du XVIe siècle, bien connue grâce aux manuels scolaires pour littérateurs en herbe mais finalement assez peu connues des bibliophiles lambda.

Je me sers d'une partie de l'article Wikipedia pour la suite :

Imposture poétique ou non?

"On ne connaît que très peu d'éléments de sa vie. Ceux que l'on peut lire sont parfois le fruit de l'imagination des critiques à partir de ses écrits : Louise Labé chevalier, Louise Labé lesbienne, Louise Labé prostituée, etc. Certains spécialistes du XVIe siècle avancent une thèse audacieuse : Louise Labé ne serait qu'une fiction élaborée par un groupe de poètes autour de Maurice Scève. (le nom de Louise Labé viendrait du surnom d'une prostituée lyonnaise "La Belle Louise") L'ouvrage de l'universitaire Mireille Huchon cité dans la bibliographie développe cette hypothèse. Daniel Martin a cherché à refuter cette hypothèse dans son article « Louise Labé est-elle une créature de papier ? ». Alors que M. Huchon affirme que, dans le portrait de Pierre Woeiriot, la présence d'une petite Méduse assimile Louise Labé à la créature mythologique (ce qui ne va pas de soi), on ne saurait en déduire que la décrire ainsi est « dévalorisant, à coup sûr ». « Le mythe de Méduse, prototype de la cruauté féminine, est souvent utilisé par les poètes pétrarquistes [...] depuis Pétrarque. Ronsard cherche-t-il à dévaloriser Cassandre dans les sonnets 8 et 31 des Amours ? » (p. 10) Daniel Martin conteste que le retrait de Jacques Peletier des Escriz dénonce une supercherie. Il fait remarquer (p. 27) qu'il « collaborait avec Jean de Tournes : il était aux premières loges pour avoir connaissance d'un projet aussi hardi de mystification ! Comment aurait-il pu ignorer une supercherie dont on nous dit par ailleurs que tout le monde en était informé ? » Il fait en outre remarquer que, dans ses Opuscules, il publie un texte à la louange de Louise Labé. On trouvera dans cet article d'autres arguments (Les témoignages de Rubys et de Paradin ; le rôle de Maurice Scève). Mais il faut reconnaître qu'aucun des arguments avancés n'emporte une conviction absolue. La thèse de Mireille Huchon en faveur de l'inexistence de Louise Labé a reçu l'approbation de Marc Fumaroli. Que la question de l'existence du poète soit seulement posée est un signe non douteux de la fascination qu'exerce encore aujourd'hui la figure abstraite et féminine (mais comment savoir ?) de Louise Labé. Les uns croient tenir le fil de sa biographie, les autres la veulent toute idéale."

J'aime bien savoir où en sont les recherches concernant ces petits "problèmes" de l'histoire littéraire. Imaginez une Louise Labé fictive ! Tous les collectionneurs d'éditions de poésies du XVIe siècle s'en arracheraient la perruque ! Enfin, pour tout vous dire, je n'ai pas encore tout lu sur cette histoire, mais je m'y mets de suite...

Et vous qu'en savez-vous ? Y-a-t-il une actualité universitaire brûlante sur le sujet ?

Connaissez-vous d'autres auteurs dont les mérites ont été mis en doute, voire leur existence même ?

Je pense que ce que vous savez sur ce sujet intéressera tout le monde ici. Osez vous exprimez !

Bonne nuit,
Bertrand ... qui part rêver au vrai visage que pouvait avoir la belle cordière ...

lundi 26 octobre 2009

Votre plus belle chasse bibliophilique ?



Lithographie originale coloriée et gommée. 1843
Honoré Daumier.
Tirage sur blanc. Collection privée.



Inspiré par le superbe article de notre ami bibliophile dauphinois Jean-Marc qui nous donne à lire aujourd'hui un très beau billet à propos de ces dernières acquisitions, ainsi que par la belle acquisition récente du Textor dont les mystères de la quête sont sans aucun doute non moins merveilleux que l'objet de la quête lui-même, me vient l'idée de vous poser la question (car je me suis posé la question moi-même en lisant ces billets) :

Quelle a été votre plus belle chasse ?

Bibliophiles, libraires, Bibliophiles-libraires ou Libraires-Bibliophiles, amoureux des beaux livres de tous poils, novices ou bien experts, amateurs de livres grandioses ou de simples petites bluettes, racontez au Bibliomane moderne votre plus beau gibier et vos techniques de chasse (affût, bois, plaine, aux chiens courants, chasse à courre, gibier d'eau, etc.)

Tribune libre ouverte !


Lithographie originale en noir. Vers 1840.
Charles Vernier.
Épreuve d'essai avant la lettre, légendée à la plume : "Première leçon de chasse."
Tirage sur blanc. Collection privée.



Bonne semaine,
Bertrand

dimanche 25 octobre 2009

Ulrich Zell et les débuts de l’imprimerie à Cologne.


Si vous m’autorisez une blague facile, je dirais que l’histoire des débuts de l’imprimerie a déjà fait couler beaucoup d’encre et il est naturel que le Bibliomane Moderne y contribue !

Faute d’avoir sur mes rayons un Gutenberg sur vélin, je vous présente aujourd’hui la production de l’un de ses disciples directs : Ulrich Zell, proto-imprimeur de Cologne, à propos d’un petit in quarto, le Summa confessionum d’Antoninus Florentinus.(1)

Saint Antonin de Florence (Antonino Pierozzi de Forciglioni) était un dominicain, archevêque de Florence qui écrivit plusieurs ouvrages à caractère religieux qui furent des best-sellers au XVème siècle. Il est mort en 1459, soit 10 ans avant la date probable de cet exemplaire. Il s’agit d’un confessionnal, c'est-à-dire d’un livre qui s’adressait tant aux confesseurs qu'aux pénitents et qui énumérait les cas d'excommunication, les péchés, les vertus, etc…L'auteur y traite notamment des questions spécifiques à poser aux différents membres de la société de l'époque: chevaliers, juges, avocats, écoliers, médecins, pharmaciens, bouchers, etc.. La dernière partie indique comment déterminer la pénitence, les formules d'absolution.

Fig 1 Le folio 1 débute, sans titre, par une table de rubriques


Fig 2 le prologue de l’ouvrage


Fig 3 La table


L’invention de l’imprimerie est revendiquée par les Hollandais sur la base de preuves assez convaincantes qui permettent de conclure que des livres imprimés sur vélin et sur papier étaient vendus dans les Flandres en 1445-46, c'est-à-dire à une date où les ateliers de Mayence n'avaient encore rien produit. Cette thèse est étayée par Ulrich Zell lui-même dans la Chronique de Cologne qu’il publia en 1499.

L'auteur anonyme de cette chronique dit expressément, en se réclamant de l'autorité d'Ulric Zell, que Gutenberg fut précédé par des premiers essais d'imprimerie tentés en Hollande :

« Quoique l'art, tel qu'on le pratique actuellement, ait été trouvé à Mayence, cependant la première idée vient de la Hollande et des Donats qu'on imprimait dans ce pays auparavant. De ces Donats date donc le commencement de cet art. »

Ulrich est considéré comme un témoin fiable des premiers pas de l’imprimerie, car il est très probable qu’il dut travailler avec Fust et Schoeffer.

On sait que Gutenberg, génial touche à tout acariâtre, a perfectionné la technique de l’impression avec des caractères mobiles, en association avec le financier Fust. Le monde n’était pas prêt à recevoir la nouveauté, la Bible à 42 lignes se vendit mal et les associés se firent de longs procès. Sur quoi, Fust, devenu possesseur du matériel de Gutenberg, l'avait fait porter dans sa maison de la rue des Cordonniers. Il s'adjoignit bientôt Pierre Schoeffer pour diriger les travaux. Schoeffer continua de perfectionner le nouvel art et de développer des astuces telles que l'interligne, l’impression en couleur des rubriques et des capitales, l’emploi des notes marginales, etc. Quelques apprentis furent mis dans la confidence – le procédé était encore secret - dont très probablement le jeune Ulrich Zell de Hanau.

1459. impression du Rationale divinorum officiorum de G. Durand

1460. impression des Constitutiones de Clément V

Je cite ces 2 impressions car elles donnèrent leur nom à des types caractéristiques de Schoeffer, les durandus et les cléments que l’on retrouve copiés par Ulrich Zell dans ses propres éditions. C’est cette similitude entre le style des caractères de Schoeffer et de Zell qui fait dire que le second travailla dans l’atelier de Fust et Schoeffer et en adopta les astuces typographiques.

Jusqu’alors confiné à Mayence, un évènement allait précipiter la diffusion du procédé : le sac de la ville, dans la nuit du 28 octobre 1462, par les troupes de l’archevêque Adolphe de Nassau, ce qui obligea les imprimeurs à quitter la ville et à essaimer dans les centres intellectuels médiévaux qui avaient un grand besoin de livres.

C’est donc en 1463 que Ulrich Zell parvient à Cologne (Köln, Colonia Agrippina, patrie d’Agrippine) petite bourgade paisible et prospère sur les bords du Rhin, où il installa sa première presse. Cologne est la cinquième ville à connaître l’imprimerie après Mayence, Bamberg, Subiaco et Strasbourg. (2)

Il eut l'avantage de travailler pour le duc de Bourgogne, Philippe le Bon, qui le chargea d'imprimer le Recueil des histoires de Troye, composé par son chapelain Raoul Lefebvre. Ce recueil, paru en 1466 ou au commencement de 1467, est le premier livre imprimé en français. A partir de 1470, Ulrich Zell a déjà des concurrents à Cologne, tel Arnold Ther Hoernen.

Fig 4


Fig 5


Ce qui est bien avec Ulrich Zell, c’est qu’il occupe encore les bibliophiles de tous poils 500 ans plus tard car il avait l’habitude de ne pas dater ses éditions et la détermination de la chronologie des parutions est un vrai casse-tête ! Ses plus anciennes impressions paraissent remonter à 1463 ou 1464. Son premier livre daté parut en 1466, c’est le Super psalmo quinquagesimo liber primus de Jean Chrysostome

Voyez plutôt : Il y a au moins 3 ou 4 éditions du Summa Confessional qui selon les bibliographes sont datables des années 1469-1470.

Je vous laisse chercher les différences en prenant 3 exemples d’une même page introduisant le sermon de Jean Chrysostome De Penitencia qui suit le Confessionnal. Remarquez les « d » tantôt gothiques tantôt déjà romains.


Fig 6 Exemplaire Goff 786 - Not after 29 aug 1468


Fig 7 Exemplaire Textor ; Goff 787– About 1470 selon Goff mais Not after 1469 selon BM.


Fig 8 Exemplaire Goff 788 – About 1470


Selon certaines sources (British Museum ?), notre exemplaire serait l’édition princeps de ce texte, (Comme dirait Bertrand, il n’y a pas de mal à trouver des éditions princeps dans les années 1460 !!...) mais cela semble démenti par Goff qui la date de 1470… Que disent les experts du Bibliomane moderne ?

Quoiqu’il en soit, il est certain que les premiers imprimeurs ont atteint un degré de perfection étonnant dès leurs premières productions. Admirez la netteté des types (sans parler de la beauté du papier…) On ne s’en lasse pas ! Le seul inconvénient est le nombre des contractions qui rend le latin difficile à lire. (Pour moi en tous cas).

Fig 9


Fig 10


Fig 11


Pour les amateurs de filigranes, je vous livre celui-ci, plusieurs fois répétés sur les différents cahiers. A vos Briquet !!

Fig 12 Filigrane


Bonne journée !
Textor


1) Coll [133] f.sur 143 – ouvrage non folioté et sans signature, 27 lignes par page. BMC, I, 182 (IA.2766) – Polain, 238 – Pellechet, I, 819 – Goff, A-787 – B.M., I, 183 – G.W., 2082

(2) Histoire chronologique de l’imprimerie
http://www.letterpress.ch/SPIP/article.php3?id_article=26

samedi 24 octobre 2009

Iconomanie bibliomaniaque ou représentation lithographique du colporteur-livreur de livres dans la première moitié du XIXe siècle.


Plaisir des yeux. Billet dédié aux six visiteurs téméraires, visiteurs réguliers du blog (puisqu'ils ont voté en tant que tel) qui ne sont ni bibliophiles, ni libraires ! Beau sport en effet que celui de nous suivre dans nos pérégrinations bibliomaniaques sans être quelque si peu que ce soit atteint du frisson bibliolâtre. Mais ils existent donc ! Et pour eux la République des Icono-Bibliognostes ouvre grandes les portes.

Découverte hasardeuse, cette jolie lithographie signée PRUCHE (Clément Pruche), montrant un colporteur de livres et deux autres personnages. La scène doit se passer dans les années 1830-1840.


Cliquez sur l'image pour l'agrandir.

Caricature des années 1840, probablement parue dans le journal La Caricature ou le Charivari.
Lithographie signée dans la planche Pruche pour Clément Pruche.


On estime alors toutes les joies et les pénibilités du métier de colporteur...
Mais à vrai dire... est-ce bien un colporteur ou un simple livreur de volumes ??
Je m'intérroge, je dubite(*), je m'estonne...

Si par ailleurs quelqu'un dans l'assistance esbaudie peut nous expliquer toute la finesse de cette scène caricaturée, je suis preneur.

Bonne soirée,
Bertrand

(*) conjugaison au présent de l'indicatif du verbe dubiter. Peu usité. Déclinaison aimable et purement amateur et tout à fait personnelle de dubitatif, émettre des doutes, ... et pour ceux qui croiraient que j'invente... Cf. [GD : dubiter ; *FEW III, 170a : dubitare] "Douter" : Vous dittes vray mais je dubite Pour ce que je l'ay tant gardé (...) Car il y a XXX ans sans mentir Qu'il n'a oncques fait ung seul bien (OUDIN, St Genis M.S., c.1490, 75). Etonish nein comme dirait Cyclopède ? (allez ! moi sur ce, je file écouter et admirer Zaza la gouailleuse...)

vendredi 23 octobre 2009

Belle page ! Harmonies de la page de titre au XVIe siècle.


Pour répondre à la question de Martin en images, voici la page de titre de l'ouvrage évoqué récemment par l'article Saurez-vous retrouver à qui appartient cette marque de libraire ?


Vous ne trouvez pas que ces belles pages de titre du XVIe siècle ont quelque chose de divin ?! Cette admiration béate confine à la bibliofolie, j'en conviens, mais qu'importe puisque le malade est consentant...

Bonne journée,
Bertrand

On est si bien en compagnie de l'Octave ! Octave Uzanne chez lui.



Octave Uzanne à son bureau. Vue d'ensemble, vers 1890-1900.
Vizzavona François Antoine (1876-1961)
Droits RMN - (C) RMN / Daniel Arnaudet


C'est notre ami le Bibliophile Rhemus Peremptorius qui nous envoie ces photographies des intérieurs parisiens du maître Octave Uzanne. Ces photographies sont issues de la base Réunion des Musées Nationaux (Agence Photographique). Les photographies sont ici accessibles en petit format, ce site propose des tirages payants de bien meilleure qualité. La base documentaire est immense !

Octave Uzanne
semble âgé sur ces photos d'une quarantaine ou une petite cinquantaine d'années, ce qui daterait ces photographies des années 1890-1900. Est-ce le même appartement que je vous ai montré dans le billet d'avant hier ? La décoration est en tous les cas du même style. Japonisme à tous les étages ! Murs chargés de gravures et bibelots un peu partout. Beau parquet à chevrons qu'on imagine en plein chêne. Tapis et tentures.

Je vous laisse visiter les lieux.

Octave Uzanne à son bureau. Vue de détail, vers 1890-1900.
Vizzavona François Antoine (1876-1961)
Droits RMN - (C) RMN / Daniel Arnaudet



Octave Uzanne debut devant sa cheminée à côté de son bureau.
Vue de détail, vers 1890-1900.
Vizzavona François Antoine (1876-1961)
Droits RMN - (C) RMN / Daniel Arnaudet



Octave Uzanne a troqué la barbiche contre une moustache bien taillée. Signe des temps... nous ne devons pas être si éloignés du temps des Brigades du Tigre...

Un grand merci au Bibliophile Rhemus Peremptorius pour cette belle découverte.

Pour rappel, voici la liste des billets que le Bibliomane moderne a consacré à l'Octave depuis maintenant un peu plus d'un an :

- Une lettre autographe d'Octave Uzanne, l'ami des beaux livres.
- Le quémandeur de livre par Octave Uzanne.
- Carayon et Uzanne réunis sous le même toi par un bibliophile.
- La voix de son maître ou petite correspondance d'un bibliophile à son relieur.
- Des titres de livres par Octave Uzanne.
- Bibliophile et homme de lettres, Octave Uzanne n'est finalement qu'un homme comme les autres.
- Les Bibliophiles Contemporains.
- Considérations sur quelques livres de luxe. Bibliophilie rétrospective.
- Restons en bonne compagnie. Octave Uzanne et son Home.

D'autres billets, sur ou à propos d'Octave Uzanne, ont été publiés sous mon nom, sur d'autres supports électroniques.

Bonne journée,
Bertrand

jeudi 22 octobre 2009

Saurez-vous retrouver à qui appartient cette marque de libraire ?




Saurez-vous retrouver à qui appartient cette marque de libraire ? (*)

(*) J'ai supprimé la légende latine qui entourait cette marque pour que la recherche soit un peu moins facile.

Bonne journée,
Bertrand

Restons en bonne compagnie : Octave Uzanne et son Home (1892).


Je reste en compagnie d'Octave Uzanne pour une soirée encore !

Quelques pages plus loin dans le même deuxième tome de la revue l'Art et l'idée ... on trouve un autre article du maître dans lequel il nous explique par moult détails circonstanciés, comment avoir "un bel intérieur" ! Rien que cela. Ou comment avoir du goût chez soi !

Uzanne était un esthète à l'excès. On le sait maintenant. En plein période japomaniaque, bibelotage à gogo et objets empilés sur les rebords de cheminées, cadres accolés sur les murs tapissés, un lit recouvert d'un lourd velours, des pièces qu'on imagine froides, ... très froides. Uzanne nous explique ses goûts en matière d'arts décoratifs pour son Home idéal.

Uzanne avait un ego très développé, il ne s'en cachait pas. Son article (de quelques pages) est décoré de jolis bois gravés représentant quelques éléments de décor (vase, cheminée, coins de pièces, etc), et de deux très belles reproductions photographiques d'un intérieur d'appartement. La première intitulée "Porte de vestibule" (décorée de gravures, ferronneries et cuir du Japon) et la seconde "Angle d'une chambre à coucher" (lit décoré de cuir japonais).

J'imagine mal que ces deux photographies ne puissent être celles du propre appartement d'Octave Uzanne au 17 quai Voltaire à Paris.

Uzanne s'aimait trop et aimait trop se montrer dans ses livres (on le voit - comme Hitchcock apparait une fraction de seconde dans ses films - représenté en gravure dans de nombreuses vignettes de ses livres) pour qu'il n'ait pas saisi ici l'occasion de nous montrer son "Home".


Donc, jusqu'à ce qu'on me prouve le contraire - c'est évidemment ce que j'attends - je pense que les deux photographies ci-dessous sont celles d'une partie de l'intérieur de l'appartement d'Octave Uzanne sur le quai Voltaire, adresse qu'il occupa durant les années 1890.


Cliquez sur les photographies pour les agrandir.



On s'éloigne un peu de la bibliophilie pure mais c'est si bon... (pour moi en tous les cas).

Bonne nuit,
Bertrand

mardi 20 octobre 2009

Considérations sur quelques livres de luxe. Bibliophilie rétrospective.



Les grands boulevards peints par Gustave Caillebote (1848-1894). © Gustave Caillebote


Voici un petit texte que j'ai croisé par hasard, je vous le livre in extenso :

"Un libraire très voisin du boulevard, et qui pâtit douloureusement de l'indifférence des nouveaux bibliophiles à son égard, prétend, m'assure-t-on, que je sonne la cloche afin que les livres ne se vendent plus ; ce bibliopole, en mal d'éditions inécoulées, se trompe et je ne conçois pas des machinations aussi suicidatoires.

Il me semble, toutefois, et les amateurs artistes seront de mon avis, que la librairie de luxe doit être relévée de son abaissante routine, de son écoeurante monotonie, et qu'il est utile de sortir des eaux-fortes genre paroissien perpétrées par des prix de Rome, d'après de banaux illustrateurs, dont certains boutiquiers, éditeurs, tels que celui qui nous incrimine, ont vraiment trop saturé le public naïf, et de produire enfin des oeuvres originales en communion avec le goût moderne.


Or, comme l'édition de luxe à base d'eaux-fortes courantes ne réclame d'un publicateur ni science, ni recherche, ni art, tels de ces messieurs dépourvus de ces essentielles qualités sont navrés d'avoir à y renoncer et affirment que les bibliophiles sont ennemis des nouveautés. Réclamons-leur donc, de bon gré ou de force, des livres qui demandent de l'ingéniosité et des vertus de mise en page et d'essais de couleur, des estampes de peintres-graveurs ; réclamons-leur des combinaisons nouvelles inédites et montrant un goût d'art, et croyez bien que ces éditeurs en déroute s'évanouiront bien vite, désormais incapables et sans mission. C'est pour eux que nous sonnons la cloche d'alarme ; les temps sont révolus, ils sont enrichis dans une médiocre industrie ; qu'ils se retirent donc bedonnants et satisfaits sans charger davantage le marché de leur prétentieuse pacotille. Ils ont fait du négoce ; il ont récolté de l'argent : qu'ils quittent la place.

Désormais, espérons-le, on exigera davantage des publicateurs de livres de luxe, et que ce soit sur la rive droite ou la rive gauche de la Seine, un temps est proche où les non-valeurs n'auront plus cours.
Je sais bien que les imbéciles, les ignorants et les gens de mauvais goût seront toujours en majorité, mais je ne veux pas croire que la bibliophilie ne soit qu'une réduction de la société ; j'aimerais à y voir une élite, c'est pourquoi je lutterai sans cesse contre tous les camelots du temple."

Qui a bien pu écrire ces lignes à demi prophétiques et à demi pamphlétaires ?

A quelle époque ?

Dans quel livre ou quelle revue ?

De quel libraire "très voisin du boulevard" est-il question ici à votre avis ?

A vous de deviner(*). Essayez de vous fier à votre "nez" de bibliophile plutôt qu'à votre "Google books" préféré... même si vous ne trouvez pas la bonne réponse, c'est toujours plus amusant pour les lecteurs de lire vos hypothèses sur le sujet. Je donnerai bien évidemment la réponse à cette insoutenable énigme dans quelques heures.

Bonne soirée,
Bertrand

(*) Réponse à la devinette : Ce petit texte se trouve dans le deuxième tome de la revue intitulée "L'art et l'idée, revue contemporaine du dilettantisme littéraire et de la curiosité" publiée par Octave Uzanne. Juillet à décembre 1892. Revue de luxe publiée à Paris par l'Ancienne Maison Quantin, 7, rue Saint-Benoît. La Direction est assurée par Octave Uzanne, au 17, quai Voltaire (adresse personnelle d'Octave Uzanne à cette date). L'article en question se trouve aux pages 245-246. De quel libraire "voisin du boulevard" Uzanne parle-t-il en s'opposant à cette "écoeurante monotonie", cette "abaissante routine" ?? Sans certitude aucune, il apparait de manière assez évidente qu'il s'adresse ainsi aux éditeurs qui emploient essentiellement l'eau-forte comme illustration. Les candidats possibles sont alors les D. Jouaust, les Léon Conquet. Je penche personnellement pour la librairie de Léon Conquet. Pourquoi ? Tout simplement parce que la librairie Conquet était la librairie de la société des "Amis des livres" présidée par Eugène Paillet, société de Bibliophile directement en concurrence avec "les Bibliophiles Contemporains" présidée par Octave Uzanne. Animosités réciproques et querelles de clochés ! Uzanne, comme on l'a vu dans d'autres articles publiés sur le Bibliomane moderne, avait son ego haut perché ! Il est amusant de constater cependant qu'en 1892, année de publication de l'Art et l'idée, on trouve Octave Uzanne en tant que membre titulaire de la Société des Amis des Livres...

lundi 19 octobre 2009

Un très joli cartonnage romantique parlant ou Don Quichotte adapté pour la jeunesse (vers 1845).



Voici un petit volume intéressant. Pourquoi ?

Tout d'abord parce que j'ai plaisir à vous présenter un volume, qui, par définition fragile, a réussi à traverser plus d'un siècle et demi sans le moindre dommage. C'est toujours émouvant de voir ce spectacle pour les amateurs de reliures. Spectacle d'autant plus merveilleux quand on sait que ce volume était destiné aux mains peu délicates des enfants !


C'est d'un Don Quichotte pour les enfants dont il s'agit.

"Aventures de Don Quichotte de la Manche, par Michel Cervantès. Edition revue et corrigée par M. l'abbé Lejeune, chanoine, professeur à la faculté de théologie de Rouen. Illustrée de 20 grands dessins par MM. Célestin Nanteuil, Bouchot et Demoraine. Nouvelle édition et nouvelle traduction."

Volume édité à Paris chez P.-C. Lehuby, libraire-éditeur, 55 rue de Seine St-Germain. Ce volume mesure 22 x 14 cm. Il sort des presses de l'imprimerie Jeunet(*), rue St-Gilles, 108, à Abbeville, pour le texte et les bois gravés hors-texte ont été imprimés par E. Duverger.

Il est recouvert de sa reliure d'origine dite "reliure éditeur" décorée et parlante. La reliure est en percaline noire dite "anglaise", sorte de toile recouverte d'un apprêt brillant. Cette toile, estampée à froid à la plaque est également rehaussée en couleurs avant pressage. Le premier plat est décoré d'un encadrement à froid et d'une plaque dorée centrale avec médaillons en couleurs. On y retrouve quelques attributs spécifiques à Don Quichotte. Le dos est orné en long avec les deux personnages emblématiques, Don Quichotte et Sancho Pança en armures. On lit au bas du dos "LEHUBY ED. PARIS". Le deuxième plat est orné d'un seul fer doré, placé au centre, représentant les deux protagonistes.


Il s'agit d'une édition de Don Quichotte destinée à la jeunesse. Que pouvait attendre Don Quichotte des remaniements d'un chanoine ? "Il y avait à la fois à retrancher quelques épisodes qui affaiblissent singulièrement l'intérêt de la narration, et à faire disparaitre certaines peintures qui n'étaient pas sans danger pour de jeunes imaginations. (...) Quant aux suppressions qui ont été faites, il faut en savoir gré à l'éditeur ; elles sont dans l'intérêt de la saine morale comme dans celui du goût."

Cet ouvrage a été publié sans date au bas du titre mais les différentes notices que nous avons pu consulter donne généralement soit la date de 1845, soit celle de 1850. Ce bon chanoine Lejeune a donné vers la même époque et chez le même éditeur une édition illustrée et revue des Voyages de Gulliver.

Curieusement on ne trouve pas de trace d'étiquette de prix dans ce volume. Vraisemblablement pas ou très peu manipulé, j'en viens même a douter qu'il ait jamais été entre les mains de bambins-bibliophiles ... ou très bibliophiles alors.

La maison Lehuby était un spécialiste du livre pour la jeunesse. On la trouve déjà vers 1837 dénommée "Librairie de l'enfance et de la jeunsesse". On sait que P.-C. Lehuby était le successeur de Pierre Blanchard, libraire au 53 de la rue de Seine à Paris (1845). Vous retrouverez un exemple de cartonnage papier produit par cette maison parisienne dans un précédent article du Bibliomane moderne consacré aux cartonnages papier romantiques à médaillon lithographié. M. Lehuby avait la mauvaise habitude de ne pas dater ses éditions, ce qui ne facilite pas les choses pour bien faire l'historique de la Maison. Il reste à faire me semble-t-il.

Encore un petit bibelot pour romanticophile-bibliolâtre... évidemment, ça ne vaut pas tripette comme dirait Textor, ça ne vaut pas une princeps donnée par Ulrich Zell... mais bon, il faut s'émerveiller de toutes les belles choses, petites et grandes, même si toutes ne sont pas sur la même étagère, au même niveau. Je m'émerveille de tout ! Et mon petit doigt me dit qu'on ne va pas tarder de parler d'Ulrich Zell ici-même ...

Bonne journée,
Bertrand

(*) "L'imprimerie Jeunet, par exemple , qui s'occupe plus particulièrement de ce genre de travaux, fait sortir de ses presses, mises en mouvement par la vapeur, des milliers de volumes annuellement, pour des éditeurs Suisses seulement, indépendamment de ceux qu'elle livre aux éditeurs Parisiens, de ses occupations courantes de ville et d'un journal quotidien. Plus d'un lecteur des charmants volumes de l'édition Charpentier n'a pas toujours remarqué que certains ouvrages de Théophile Gautier, que le Schiller, (...) que le Chasseur rustique, etc., sortent des presses de M. Jeunet. (...) Extrait de Recherches historiques sur l'imprimerie et la librairie à Amiens par M. Pouy, 1861.

samedi 17 octobre 2009

Avis de recherche : marque de libraire au lion couronné et armé... (vers 1730-1740).


Chers amis bibliomanes,
actuellement entre un virus hachinnenin non certifié conforme et un lit bien douillet (je n'ai pu aller jusqu'au bout de la vente de livres d'Auxerre sans déclencher un cataclysme sinusal ...)
une recherche opportune me vient pour ne pas vous laisser dans la désolation d'un samedi maussade sans message ...

Je cherche à savoir quel libraire ou imprimeur (ou les deux) se cache derrière cette marque "au lion". Il faut chercher un libraire-imprimeur qui s'est caché sous l'adresse courante d'Amsterdam, dans les années 1730 - 1750.

Taille : 30 x 30 mm.


Toute information à ce sujet sera la bienvenue.

Merci d'avance,
Bonne journée,
Bertrand

jeudi 15 octobre 2009

Deux dessins originaux de Paul Gavarni en questions ou l'Ecole du bibliophile.


La bibliophilie n'est pas une école pour ceux qui aiment avoir toujours raison. Les fortes têtes en sont vite chassées !

En pays de Bibliophilie, toutes les sentences devraient se terminer par ces mots : " (...) en l'état actuel de nos connaissances."

Mais cette école a du bon, elle apprend l'humilité, la patience et le partage, autant de qualités qui manquent le plus souvent à bon nombre d'esprits forts.

Ainsi je dois admettre devant vous que je me suis trompé ! Je me suis trompé très récemment lorsque je vous ai donné un billet à propos d'un dessin original inédit de Gavarni.

Inédit, il ne l'était pas ! Il suffisait pour s'en convaincre d'ouvrir un volume du Diable à Paris, ouvrage collectif illustré par Gavarni de plus de 200 "types" hors texte gravés sur bois par les meilleurs artistes du moment (Le Diable à Paris, 2 vol. gr. in-8, Paris, Hetzel, 1845-1846). Dans cet ouvrage bien connu des amateurs de livres illustrés de la première moitié du XIXe siècle, on trouve sous le titre général de "Les gens de Paris", de nombreuses séries de portraits dessinés par l'artiste présentés ici gravés sur bois. C'est ainsi qu'en cherchant autre chose (enfin presque), je suis tombé en arrêt, hier soir, sur le fameux type du Poète dont voici le dessin que j'avais déjà présenté.

Dessin original de Gavarni. Plume et lavis.



Gravure sur bois par Lavieille d'après Gavarni. Planche hors texte extraite du Diable à Paris (1845-1846). La légende ne figurait pas sous le dessin original de Gavarni, le décor de fond non plus.


Vous constatez vous même que le dessin a parfaitement été gravé sur bois dans les moindres détails par Bara et Gérard, comme c'est indiqué au bas de la gravure sur bois. Cette gravure fait donc partie de la série des "Gens de Paris" pour "Le Diable à Paris" (1845-1846), et de la suite des "Hommes et femmes de plume." - 2e série. - planche n°5. Cette suite compte 6 planches au total. Vous remarquerez que seul le poète avait été dessiné par Gavarni, à la plume et au lavis, et que ce sont les graveurs qui vraisemblablement ont ajouté le décor de fond (fauteuil et bureau), à moins qu'il n'existe un second état intermédiaire du dessin de Gavarni, ce qui serait tout à fait possible. Vous remarquerez également la longue légende en bas de la gravure. Il faut savoir qu'apparemment, d'après ce que j'ai pu lire ici et là, Paul Gavarni attachait autant d'importance à la rédaction des légendes qu'aux dessins eux-mêmes. Ce qui m'invite à penser qu'il existe un dessin original avec la légende signée Gavarni, à moins que cette dernière n'ait été improvisée que sur le tard, à chaud, chez l'imprimeur ou chez l'éditeur (??). Ce dessin n'était donc pas inédit comme je vous l'avais annoncé. Mea culpa.

Quel hasard a bien pu me conduire à justement porter me yeux sur ces planches du Diable à Paris ? Tout simplement... un deuxième dessin original signé Gavarni tombé récemment entre mes mains. Je dis "original" et non "original inédit" car c'est encore un dessin finalement publié que je viens de retrouver. Et ce dessin ne se trouvait placé qu'à quelques pages de celui du Poète désigné ci-dessus. Voici la gravure sur bois qui en a été faite par Lavieille. Elle prend place dans la suite intitulée "Politiqueurs." C'est la huitième et dernière de cette suite. Vous remarquerez que dans le cas présent la légende est identique et qu'on peut donc considérer que le dessin que je vous montre ci-dessous était le dessin définitif qui a servi faire la gravure sur bois.

Dessin original signé et légendé par Gavarni.



Gravure sur bois par Lavieille d'après Gavarni.
Planche hors texte extraite du Diable à Paris (1845-1846).
La légende est identique à l'original de Gavarni.



Me voici donc l'heureux hôte de deux très jolis dessins originaux de Gavarni, tous deux faits pour le Diable à Paris. Enfin presque. Une hypothèse n'est pas à écarter trop vite cependant. Le premier dessin portant la légende à la plume "Poète" par Gavarni, je ne peux m'empêcher de me demander si ce dessin n'était pas destiné primitivement à la série des Français peints par eux-mêmes comme j'en avais émis la mauvaise certitude dans mon précédent article (même dimension - même titre que l'article des Français). Ce dessin n'ayant pas été retenu pour les Français peints par eux-mêmes, on imagine très bien que l'artiste ait voulu recycler ce dessin en le proposant pour le Diable à Paris. Les dates concordent, les Français peints par eux-mêmes ont été édités entre 1841 et 1842 et le Diable à Paris entre 1845 et 1846. Qu'en pensez-vous ?

Je suis comblé avec ces deux jolis dessins. J'attends un troisième, un quatrième, un cinquième, etc, qui devraient m'amener tout droit au Paradis des monomaniaques icono-bibliophiles... Et bientôt Honoré Daumier... Pourquoi pas ?

Décidément, votre serviteur s'intéresse de plus en plus aux dessins et aux autographes... mauvais virages diront certains ! Bon penchant s'exclameront d'autres ! Je n'en délaisse pas les livres pour autant. La guerre, c'est sur tous les fronts non ?

Je sais bien que le Bibliomane moderne me permet le plus souvent que de survoler tel ou tel sujet, de s'en approcher parfois, suffisamment près quelque fois pour en sentir tous les délices. Dans tous les cas, mon souhait le plus cher est que la "vérité" bibliophile soit mise en lumière et que les doutes et les interrogations soient nos moteurs à toutes et à tous pour atteindre le meilleur de nous et de l'histoire des livres. Noble cause ! Nobles ambitions ! Puissions-nous durer et continuer.

Bonne journée,
Bertrand

mercredi 14 octobre 2009

Les reliures à chaine, attachantes curiosités bibliophiliques (suite).



Reliure à chaine de la fin du XVe siècle.
Photographie catalogue Pierre Bergé (2005).


L'ami Textor me pardonnera de rebondir sur son dernier billet en vous montrait un des plus beaux spécimen qu'il m'ait été donné de voir de reliure à chaine. Je l'ai vu en vrai lors de la vente Berès (3e vente - Fonds de la librairie Pierre Berès - Des incunables à nos jours - 2eme partie - Drouot, Paris, vendredi 16 décembre 2005).

Cette jolie reliure contenant Scala celi de Johannes Gobius (sans date, vers 1480), in-folio (270 x 105 mm), estimée 8.000/12.000 euros (je ne sais pas combien elle a été finalement vendue ou pas...). Elle est présentée sous le numéro 208 du catalogue cité.

Je vous laisse admirer la reliure et lire la notice qui lui est rapportée.

Notice du catalogue Pierre Bergé (Décembre 2005)
Reliure à chaine.



Bonne soirée,
Bertrand

Les reliures à chaine, attachantes curiosités bibliophiliques.





La présentation de la bibliothèque Desguine à Nanterre par Raphaël, m’a donné l’idée de vous parler des premières bibliothèques publiques, et surtout d’une particularité bien connue des ouvrages qu’elles contenaient : les reliures à chaine.

Nous savons qu’au XVe siècle, les livres étaient déposés sur des pupitres et des rayonnages. La plupart des livres étaient munis d’une chaîne métallique, fixée au plat inférieur de la reliure et l’autre extrémité de la chaîne coulissait sur une tige métallique solidaire du meuble où était posé le volume. Sur le plat supérieur était collée une étiquette, en papier ou en parchemin, sur laquelle étaient écrits les titres des œuvres contenus dans le volume. Ainsi protégés contre le vol, les livres pouvaient ainsi être lus mais non déplacés. Les reliures étaient solidement confectionnées. Les peaux recouvrant les ais de bois des plats étaient munies de boulons et les angles étaient protégés par des pièces métalliques. Ce système avec les livres enchaînés existait dans beaucoup de bibliothèques publiques médiévales même si, aujourd’hui, le nombre des reliures à chaine subsistantes est particulièrement réduit.


Une intéressante étude a été réalisée en 2002 pour le 550e anniversaire de la bibliothèque publique de Sélestat Il ne reste aujourd’hui que trois ouvrages munis de la chaîne d’origine dans cette bibliothèque, mais beaucoup de volumes portent encore la trace de la fixation de la chaîne servant à attacher le volume dans la bibliothèque paroissiale.

Le bilan de cet examen des reliures a fait apparaître que la bibliothèque comptait au XVe s. au moins 277 volumes qui se composent ainsi : 88 volumes de manuscrits dont 57 étaient enchaînés et 189 volumes d’imprimés dont 139 volumes étaient enchaînés, ce qui donne un total de 196 volumes enchaînés dans la salle d’études, soit 71% de l’ensemble du fonds.


Le fonds Textor ne contient malheureusement qu’une seule reliure à chaine (Et encore manque-t-il la chaine elle-même !) mais celle-ci possède bien toute les caractéristiques du genre : solide peau de porc sur ais de bois, ferrures, large étiquette de vélin sur le plat. La seule particularité est la disposition de la chaine, qui, contrairement à l’usage, était ici fixée sur le plat inférieur, et l’étiquette sur le plat supérieur, ce qui ne devait guère être pratique pour un livre qui ne se lit pas de droite à gauche comme les ouvrages hébraïques.




Cette reliure recouvre une œuvre de Guillaume Budé, le De Contemptu Rerum, chez Josse bade, 1528. (1)

Ce livre a donné lieu à une longue enquête quasi policière. En effet, lorsqu’on possède une reliure à chaine, même sans chaine, on n’a de cesse que de vouloir savoir ce qu’il y avait à l’autre bout de cette chaine, autrement dit, dans quelle bibliothèque publique était fixé cet ouvrage, et à partir de là, qui a pu le feuilleter, le lire, l'étudier, etc…

En l’occurrence, je fus quelque peu aidé par un bibliothécaire qui a eu la bonne idée de laisser une mention manuscrite au dessus du titre : "Pro libraria Regal(is) colegij Campanae ats Navarrae pars fundati".


Si le Bibliomane Moderne avait existé à l’époque de mes recherches, je ne doute pas que l’énigme n’aurait pas résisté 5 minutes, mais voilà, j’étais bien seul alors, et l’expert de la vente ne devait pas en savoir davantage car le catalogue mentionnait l’ex-libris, sans plus. Une bibliothèque royale, certes, mais de la Campanie à la Navarre, voilà une large zone d’investigation !

Finalement, un jour, j’ai eu le déclic en feuilletant un de mes ouvrages préférés sur Paris, les Antiquitez de Paris, où Du Breuil nous apprend ( p 143 éd. De 1608) que le "collège de Navarre, autrement dict de Champagne, fut fondé par feu de bonne mémoire Jeanne, royne de France et de Navarre, Comtesse Palatine de Champagne et de Brie, l'an de grace 1304.....La Royne fondatrice enrichit pareillement ce collège d'une excellente librairie...De ceste maison parle Budé au traicté qu'il a composé de studio literarum, en ces mots: Nunc porticus duae orthodoxae Sorbona & Navarra, et philisophae theologicae , tamquam oracula duo nominatissima , qua fines cumq_, patent nommini christiani".

J’avais l’explication, Campanae ne voulait pas dire Campanie, mais Campagne c’est à dire Champagne ! Et la mention se lit donc : « Pour la bibliothèque du Collège Royal de Champagne, autrement dit de Navarre, part fondateur » (?).

Et voilà mon ouvrage tout droit sorti du collège de Navarre, l’institution la plus fameuse de la Montagne Sainte Géneviève, située sur l’emplacement de l’ancienne école polytechnique.

Vraie pépinière pour les commis de l’Etat, la liste des élèves du collège de Navarre est longue, Du Breuil en cite quelques uns : "De cette maison sont sortis infinis grands personnages comme Gerson, Joannes Major, Almainus, de Castro forti, Papillon, Gelin, de Villiers, Pelletier,qui s'est trouvé au Concile de Trente, ...Geoffroy Boussard..."

J’aime à penser, compte tenu de la date de l’édition, que Guillaume Briçonnet (1470-1534), Jean Hennuyer (1497-1578), Jacques Amyot (1513-1593) Pierre de la Ramée (1515-1572), le connétable de Lesdiguières (1543-1626) François d'Amboise (1550- 1619), ou encore le cardinal de Richelieu (1585-1642) ont pu consulter ce livre et qu’ils en ont été inspirés.(2)

Bonne Journée
Textor

(1) In-4 de (3) bl, 75 ff, a5-k5, (5)ff (index) (3) bl. C’est une dissertation morale sur le stoïcisme qui est défendu puis rejeté, selon le plan habituel de ce genre d’ouvrage philosophique.

(2) Rabelais donne au prologue du Quart Livre (1552) une définition de la philosophie de Pantagruel sous la forme d’un paradoxe, à savoir une « certaine gayeté d’esprit confite en mespris des choses fortuites », qui est une référence marquée au De Contemptu Rerum de Budé.


mardi 13 octobre 2009

Fiche de libraire : Le Marot de Sébastien Gryphe et Estienne Dolet, Lyon, 1538.




Pour continuer notre exploration de l'univers de Sébastien Gryphe, imprimeur-libraire lyonnais de la première moitié du XVIe siècle, voici une belle fiche de libraire issue d'un des catalogues les plus beaux et d'une des maisons de librairie les plus prestigieuses du XXe siècle, je veux dire la librairie Maggs Bros., 34 & 35, Conduit Street, London, W. (catalogue spécial intitulé : FRENCH BOOKS FROM 1470 TO 1700 A.D., 1926 - magnifique catalogue richement illustré en noir et blanc et de 796 numéros tous plus magnifiques et rares les uns que les autres).


C'est donc sur cette impression lyonnaise des Œuvres de Clément Marot que mon attention s'est portée hier, et plus particulièrement sur une impression rare de 1538. Voici ce que nous livre la fiche très détaillée du libraire londonien.

4 parties en 1 volume in-8. Reliure de maroquin bleu doublé signée Trautz-Bauzonnet.

Très rare édition publiée par Marot lui-même avec de nombreux changements et additions. Presque entièrement imprimé en lettres gothiques, l'édition a été partagée entre Sébastien Gryphe et Etienne Dolet.

Très bel exemplaire à grandes marges dans une charmante reliure de Trautz-Bauzonnet. Provient des bibliothèques du comte de Chaponay, du baron de La Roche Lacarelle et Hector de Backer.

Le reste de la fiche est un jugement littéraire sur Clément Marot et son œuvre.

Cette édition, avec le nom de Gryphius sur le titre, serait sortie légèrement plus tard et avec quelques changements par rapport à l'édition portant sur le titre "Au logis de M. Dolet". Cette première émission étant sortie des presses de Sébastien Gryphe le dernier jour de juillet 1538 d'après les bibliographes consultés.

Doit-on les considérer d'ailleurs comme deux éditions ou bien deux émissions différentes ? ou simplement deux états d'une seule et même édition ? Elles sont toutes deux apparemment très rares (les frères Maggs en demandait la modique somme de £195 en 1926 - à mettre en comparaison des £60 demandées pour l'édition de 1550 des Quatre premiers livres des Odes de Pierre de Ronsard Vandomois (Paris, Guillaume Cavellat), dans sa première reliure en veau (n°600 du même catalogue).

Cette édition est aussi célèbre pour l'épître de Marot qui ouvre le volume. C'est une lettre à Dolet dans laquelle Marot crie contre les libraires et imprimeurs cupides qui gonflent ses œuvres des vers d'autrui pour exploiter jusqu'au bout ce que promet sa réputation. C'est une des premières revendications des droits de propriété intellectuelle. Mais dans cette époque troublée où le bûcher n'est jamais vraiment loin, c'est aussi, de la part de Marot, l'expression de la crainte de devoir se justifier sur des œuvres qui ne sont pas de lui. Les risquent qu'encours un auteur l'engage à la prudence. Dolet en fera la triste expérience.

Je n'ai pas trouvé d'exemplaires de cette rare édition actuellement à la vente sur le marché du livre rare (source internet), cependant voici quelques exemplaires croisés à travers des derniers siècles : exemplaire Didot, 28 francs ; exemplaire Bruyères-Chalabre, 89 francs ; Exemplaire Pixérecourt, 75 francs ; exemplaire Solar adjugé au prix astronomique et décalé de 1.520 francs (la reliure ou la provenance devait être d'exception) ; exemplaire Techener, 300 francs. Tous ces résultats concernent des ventes du XIXe siècle et des exemplaires à l'adresse de Dolet). Les exemplaires à l'adresse de Gryphius se trouvaient au XIXe siècle, d'un prix comparable (110 francs Coulon ; 72 francs Bignon ; 218 francs Veinant ; 350 francs Solar ; 140 francs Techener).

Pour le plaisir, vous pouvez retrouver la version texte de cette édition sur le site des Bibliothèques Virtuelles Humanistes de l'Université François Rabelais de la ville de Tours.

PS : il faudra expliquer aux autorités compétentes (qui nous lisent peut-être) qu'au XXIe siècle on est comme un assassin lorsqu'on appose de tels cachets rouges (C.E.S. RENAISSANCE) sur les pages de titres d'ouvrages aussi précieux... ce qui montre bien à quel point les universitaires sont dans leur immense majorité très éloignés des considérations bibliophiliques qui nous occupent ici. La chose est dite !

Bonne journée,
Bertrand

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